On lit souvent sur les forums de reconstitution viking ou médiévale
qu’il n’y avait pas de femmes combattantes chez les Vikings, sauf cas
exceptionnels pour défendre leur maison. Et que par conséquent les reconstitutrices qui font du viking n’ont rien à faire avec une épée à
la ceinture, et encore moins sur le champ de bataille sauf à se déguiser
pour se faire passer pour des hommes.
Les personnes qui sortent ces affirmations se trompent. Il y a eu des
femmes combattantes. Oh certes ce n’était pas la majorité, loin de là.
Mais neuf d’entre elles ont suffisamment marqué leur époque pour laisser
une trace indélébile et surtout leur nom dans l’histoire de l’un des
pays scandinaves: le Danemark.
Les preuves textuelles
Leurs
noms ont été couchés sur parchemin par Saxo Grammaticus, moine danois, à
la toute fin du 12e siècle, qui entreprit d’écrire l’histoire de son
pays.
Si Saxo prend un parti clairement chrétien, qui est marqué par
l’absence de femmes combattantes dans ses récits concernant le Danemark
une fois christianisé, la partie concernant le Danemark païen regorge de
références à ces femmes combattantes.
Là aussi le côté chrétien de l’auteur se ressent dans le fait que ces
femmes finissent toutes par mourir au combat ou par se marier et
rentrer dans le rang.
Si la Geste des Danois est à prendre avec des pincettes sur le plan
de la véracité historique, le fait que Saxo se sente obligé malgré ses
convictions religieuses de parler de ces femmes indique qu’elles ont
très probablement existé et ont suffisamment marqué leur époque pour
qu’il ait été impossible de passer leur histoire sous silence.
Voici ce que dit Saxo en général sur ces femmes combattantes (Livre VII, Chapitre VI):
« Et pour qu’on ne s’étonne pas que ce modèle du sexe ait vécu de
combats, à la sueur de son corps, je me permettrai de faire une petite
digression au sujet du caractère et de la conduite de telles créatures.
Il y eut autrefois au Danemark des femmes qui se donnaient une apparence
masculine et passaient presque tout leur temps en campagnes militaires,
car elles craignaient que leurs muscles valeureux ne se ramollissent si
elles profitaient des plaisirs de la vie. Elles ne supportaient pas de
mener une existence indolente et affermissaient leur corps et leur âme
en s’imposant des épreuves physiques et des exercices d’endurance. Elles
rejetaient la délicatesse frivole de la féminine espèce et se forçaient
à agir avec une mâle assurance. Elles couraient après la renommée
militaire avec tant d’ardeur qu’on pouvaient croire qu’elles étaient
devenues asexuées. C’était surtout celles qui avaient un tempérament
passionné ou celles qui étaient bien découplées, qui embrassaient ce
mode de vie. Comme si elles avaient oublié leur féminité native et
avaient d’avantage de goût pour la rudesse que pour la câlinerie, elles
recherchaient plus la guerre que les baisers, plus le sang que les
lèvres, et préféraient le corps à corps des guerriers à celui des
amants. De leurs mains qui étaient faites pour tirer l’aiguille,
s’échappaient des lances, et elles aimaient mieux quitter la vie à
jamais que passer par une petite mort, car il leur plaisait d’atteindre
de leurs flèches ceux qu’elles eussent subjugués par les effets de leur
aiguillonnante beauté. »
Voici les neuf femmes que Saxo cite dans son ouvrage:
- Sela, amazone guerrière et pirate accomplie,
- Lathgertha qui possédait le caractère d’un homme dans le corps d’une
femme, et qui allait à la bataille en première ligne devant les
guerriers les plus courageux,
- la princesse Alvilda qui s’habillait en homme et mena une vie de pirate accompagnée d’autre femmes ayant suivi sa voie.
- sa fille Guritha qui alla au combat habillée en homme avec son mari et son fils Harald et sauva celui-ci lors d’une bataille
- Hetha, Wisna et Webiorga participèrent activement à la bataille de
Bravellir qui oppose Harald dent de guerre à son rival pour la couronne
de Suède. Ces trois femmes dirigeaient des corps d’armées entiers lors
de cette bataille, Webiorga perd la vie lors de celle ci, et Wisna y
perd une main.
- Stikla qui préférait la guerre à la sphère familiale.
Voici ce que Saxo dit à propos d’Alvida (Livre VII, Chapitre VI):
« Et, troquant ses atours féminins contre des vêtements d’homme,
elle abandonna son existence de demoiselle rangée pour vivre comme un
farouche pirate. Suivie de beaucoup de jeunes filles qui, partageant ses
goûts, s’étaient jointes à elle, … »
Ce passage illustre bien que les neuf femmes citées par Saxo ne sont
que le sommet visible de l’iceberg. D’autres ont suivi cette voie, mais
n’ayant pas eu le succès ou la renommée suffisante, leurs noms sont
tombés dans l’oubli.
Alvida finit par reprendre ses vêtements féminins et se maria et eut
une fille Guritha, qui se maria avec Haldan, qui devint ainsi roi du
Danemark. Lors de la bataille entre Haldan et un rival, Guritha et leur
fils Harald participèrent à la bataille.
Voici ce que dit Saxo sur Guritha (Livre VII, Chapitre X):
« Guritha participait aussi à la bataille en habits d’homme. »
Lorsque son mari est tué au combat et que son fils est en danger sur
le champ de bataille, Guritha le met sur ses épaules pour le sortir de
là, et le porter à l’abri. Ce qui prouve non seulement son courage, mais
surtout sa force musculaire impressionnante qui lui permet de porter
son fils hors du champ de bataille, jusqu’à un bois voisin.
Lorsque Harald, le fils de Guritha doit se battre contre le roi de
Suède voici ce que dit Saxo à propos des trois femmes qui participent à
la bataille (Livre VIII, Chapitre II):
« De Schleswig accoururent Haco le Balafré et Tummi, le fabricant
de voiles, qui obéissaient aux ordres de Hetha et Wisna, dont le corps
féminin était naturellement animé d’une énergie virile. Webiorga aussi,
emportée par la même fougue, [….] Wisna était une femme extrêmement dure
et un très habile stratège. »
Saxo mentionne que Hetha et Wisna sont
« gracieuses dans leur uniforme de bataille »,
que Webiorga battit le champion du camp adverse, et que les adversaires
d’Harald ayant trop peur d’envoyer d’autres soldats contre elle,
l’abattent avec une flèche.
Tous ces exemples montrent clairement que ces femmes combattantes ne
manquaient pas de courage sur le champ de bataille, qu’elles étaient
entrainées, et qu’elles savaient parfaitement se battre (victoire de
Webiorga sur le champion du camp suédois). Elles étaient aussi
respectées de leurs hommes.
Le seul problème est que Saxo a écrit sa Gesta Danorum, plusieurs
siècles après les faits. Ce qui en fait pour certains une source peu
fiable. Il nous faut alors regarder à d’autres sources pour confirmer ou
non celle-ci.
Dans la saga des gens du Val-au-saumon (
Laxdæla saga) rédigée
au milieu du 13e siècle, Thordr divorce de sa femme Audr car celle-ci
s’habille en homme (le port de braies à plein fond est explicitement
mentionné), puis se remarie dans la foulée. Afin de lui faire payer cet
affront, Audr chevauche de nuit en tenue d’homme jusque chez lui et le
blesse grièvement avec un sax. Cette saga est là encore postérieure aux
Vikings mais cela montre que même après la christianisation, on
mentionne que dans le passé des femmes s’habillaient et se comportaient
comme des hommes.
Les preuves archéologiques
Sur le plan archéologique, l’assertion la plus courante est que les
armes se trouvent dans les tombes d’hommes et les outils de filage et de
tissage dans celles des femmes, et que cela reflète donc bien la place
de chaque sexe dans la société. Le seul hic est qu’en fait dans beaucoup
de cas, pour économiser une étude ADN ou une étude ostéologique, les
archéologues se basent sur ce qui se trouve dans la tombe pour
déterminer le sexe de la personne enterrée !! On voit là un énorme biais
scientifique, qui a permis à des tombes féminines de passer pour des
tombes masculines, simplement sur base des armes présentes.
Car à Gerdrup (Danemark), par exemple, la tombe double du 9e siècle a
montré une lance enterrée aux coté d’une femme. Dans l’Est de
l’Angleterre de nouvelles analyses ostéologiques de tombes contenant des
armes ont permis de prouver que plusieurs appartenaient à des femmes
(dont une tombe contenant une épée et un bouclier) et non à des hommes
comme le laissait penser le mobilier funéraire et les épées. Ces
analyses ont aussi permis de prouver que près de la moitié des tombes
scandinaves en Angleterre sont des tombes de femmes, ce qui tendrait à
prouver qu’elles partaient comme les hommes en raids de pillage ou de
colonisation. Et dans la Baltique, ou en Finlande, des tombes féminines
plus tardives (11e-12e siècles) ont montré la présence d’armes (haches,
lances, javelines, et même des épées dans deux cas).
En Norvège, un certain nombre (au moins une vingtaine) de tombes,
dont la plupart sont du début du 9e siècle, contenant un mélange
d’artefacts « féminins » et « masculins » ont été trouvées. Toutes ces
tombres contenaient les fameuses broches ovales et des armes. Parfois
une seule arme se trouvait dans la tombe, mais il n’est pas rare d’y
trouver deux voire trois armes par tombe. L’arme la plus commune est la
hache, mais des épées, ainsi que des lances y apparaissent souvent.
En Suède, en 1905, huit femmes ont été trouvée enterrées dans des
tombes bateaux avec une épée à leur coté. Et à Kaupang, des haches et
des pointes de flèches ont été trouvées dans des tombes féminines.
Ces exemples illustrent le manque de fiabilité de la détermination du
sexe sur base archéologie, sans test ostéologique ou ADN. Et surtout le
biais culturel que cette pratique induit sur les découvertes
archéologiques. Les archéologues appliquant leurs croyances et cultures
actuelles au passé. Si on regarde d’autres lieux et d’autres époques on
peut s’apercevoir que la place de chaque sexe dans la société n’est pas
aussi naturel et évident que nous le croyons.
Dans les Balkans par exemple, à une époque, les femmes qui n’avaient
ni mari ni frères pouvaient endosser le rôle des hommes et se comporter
comme eux. C’est-à-dire se vêtir comme eux et partir au combat comme
eux. Et ces femmes étaient le plus souvent enterrées en tenue d’homme.
Et en Islande, les Gragas (textes de loi anciens) semblent avoir contenu
des clauses du même type concernant les femmes « sans hommes ». Cela
peut amener à réfléchir sur ces fameuses tombes féminines ou doubles
contenant des armes, et au rôle que les femmes tenaient dans la société.
Les preuves mythologiques
La trace de ces femmes combattantes se retrouve aussi dans certains
personnages de la mythologie Nordique. Freyja est une déesse qui a un
coté guerrier non négligeable, puisqu’elle se partage avec Odin, à
hauteur de la moitié, les hommes morts au combat.
Les textes nous disent aussi que d’autres personnages mythiques
féminins, les Walkyries, chevauchaient au dessus des champs de bataille,
or si nous regardons l’amplitude des robes viking il y a un couac:
impossible de chevaucher avec. Il faut donc que les Walkyries aient
porté des pantalons, et donc aient été en tenue masculine. Cela ne vous
rappelle rien ?
Une autre trace est la tapisserie d’Oseberg, on y voit des femmes
représentées en robe, certaines tenant une lance, et l’une d’entre elles
tient même une épée par la lame.
En conclusion, les femmes qui font de la reconstitution Viking et qui
souhaitent combattre (que ce soit à l’épée, la lance, la hache, ou à
l’arc) le peuvent, et peuvent aussi s’habiller en homme comme le
faisaient ces femmes qui ont marqué l’histoire. C’est parfaitement
historique.
Je ne dis pas que toutes les femmes Vikings étaient des femmes
combattantes, mais certaines l’ont été, comme d’autres tout au long de
l’histoire de l’Europe et d’ailleurs.
Bibliographie:
Merci a
Úlfdís pour son remarquable travail de recherche.