jeudi 5 mars 2015

Les femmes combattantes chez les vikings...

On lit souvent sur les forums de reconstitution viking ou médiévale qu’il n’y avait pas de femmes combattantes chez les Vikings, sauf cas exceptionnels pour défendre leur maison. Et que par conséquent les reconstitutrices qui font du viking n’ont rien à faire avec une épée à la ceinture, et encore moins sur le champ de bataille sauf à se déguiser pour se faire passer pour des hommes.

Les personnes qui sortent ces affirmations se trompent. Il y a eu des femmes combattantes. Oh certes ce n’était pas la majorité, loin de là. Mais neuf d’entre elles ont suffisamment marqué leur époque pour laisser une trace indélébile et surtout leur nom dans l’histoire de l’un des pays scandinaves: le Danemark.


Les preuves textuelles

Femmes combattantes chez les vikingsLeurs noms ont été couchés sur parchemin par Saxo Grammaticus, moine danois, à la toute fin du 12e siècle, qui entreprit d’écrire l’histoire de son pays.
Si Saxo prend un parti clairement chrétien, qui est marqué par l’absence de femmes combattantes dans ses récits concernant le Danemark une fois christianisé, la partie concernant le Danemark païen regorge de références à ces femmes combattantes.
Là aussi le côté chrétien de l’auteur se ressent dans le fait que ces femmes finissent toutes par mourir au combat ou par se marier et rentrer dans le rang.
Si la Geste des Danois est à prendre avec des pincettes sur le plan de la véracité historique, le fait que Saxo se sente obligé malgré ses convictions religieuses de parler de ces femmes indique qu’elles ont très probablement existé et ont suffisamment marqué leur époque pour qu’il ait été impossible de passer leur histoire sous silence.


Voici ce que dit Saxo en général sur ces femmes combattantes (Livre VII, Chapitre VI):
« Et pour qu’on ne s’étonne pas que ce modèle du sexe ait vécu de combats, à la sueur de son corps, je me permettrai de faire une petite digression au sujet du caractère et de la conduite de telles créatures. Il y eut autrefois au Danemark des femmes qui se donnaient une apparence masculine et passaient presque tout leur temps en campagnes militaires, car elles craignaient que leurs muscles valeureux ne se ramollissent si elles profitaient des plaisirs de la vie. Elles ne supportaient pas de mener une existence indolente et affermissaient leur corps et leur âme en s’imposant des épreuves physiques et des exercices d’endurance. Elles rejetaient la délicatesse frivole de la féminine espèce et se forçaient à agir avec une mâle assurance. Elles couraient après la renommée militaire avec tant d’ardeur qu’on pouvaient croire qu’elles étaient devenues asexuées. C’était surtout celles qui avaient un tempérament passionné ou celles qui étaient bien découplées, qui embrassaient ce mode de vie. Comme si elles avaient oublié leur féminité native et avaient d’avantage de goût pour la rudesse que pour la câlinerie, elles recherchaient plus la guerre que les baisers, plus le sang que les lèvres, et préféraient le corps à corps des guerriers à celui des amants. De leurs mains qui étaient faites pour tirer l’aiguille, s’échappaient des lances, et elles aimaient mieux quitter la vie à jamais que passer par une petite mort, car il leur plaisait d’atteindre de leurs flèches ceux qu’elles eussent subjugués par les effets de leur aiguillonnante beauté. »



Voici les neuf femmes que Saxo cite dans son ouvrage:
  • Sela, amazone guerrière et pirate accomplie,
  • Lathgertha qui possédait le caractère d’un homme dans le corps d’une femme, et qui allait à la bataille en première ligne devant les guerriers les plus courageux,
  • la princesse Alvilda qui s’habillait en homme et mena une vie de pirate accompagnée d’autre femmes ayant suivi sa voie.
  • sa fille Guritha qui alla au combat habillée en homme avec son mari et son fils Harald et sauva celui-ci lors d’une bataille
  • Hetha, Wisna et Webiorga participèrent activement à la bataille de Bravellir qui oppose Harald dent de guerre à son rival pour la couronne de Suède. Ces trois femmes dirigeaient des corps d’armées entiers lors de cette bataille, Webiorga perd la vie lors de celle ci, et Wisna y perd une main.
  • Stikla qui préférait la guerre à la sphère familiale.

Voici ce que Saxo dit à propos d’Alvida (Livre VII, Chapitre VI):

« Et, troquant ses atours féminins contre des vêtements d’homme, elle abandonna son existence de demoiselle rangée pour vivre comme un farouche pirate. Suivie de beaucoup de jeunes filles qui, partageant ses goûts, s’étaient jointes à elle, … »
Ce passage illustre bien que les neuf femmes citées par Saxo ne sont que le sommet visible de l’iceberg. D’autres ont suivi cette voie, mais n’ayant pas eu le succès ou la renommée suffisante, leurs noms sont tombés dans l’oubli.
Alvida finit par reprendre ses vêtements féminins et se maria et eut une fille Guritha, qui se maria avec Haldan, qui devint ainsi roi du Danemark. Lors de la bataille entre Haldan et un rival, Guritha et leur fils Harald participèrent à la bataille.

Voici ce que dit Saxo sur Guritha (Livre VII, Chapitre X):
« Guritha participait aussi à la bataille en habits d’homme. »
Lorsque son mari est tué au combat et que son fils est en danger sur le champ de bataille, Guritha le met sur ses épaules pour le sortir de là, et le porter à l’abri. Ce qui prouve non seulement son courage, mais surtout sa force musculaire impressionnante qui lui permet de porter son fils hors du champ de bataille, jusqu’à un bois voisin.


Lorsque Harald, le fils de Guritha doit se battre contre le roi de Suède voici ce que dit Saxo à propos des trois femmes qui participent à la bataille (Livre VIII, Chapitre II):
« De Schleswig accoururent Haco le Balafré et Tummi, le fabricant de voiles, qui obéissaient aux ordres de Hetha et Wisna, dont le corps féminin était naturellement animé d’une énergie virile. Webiorga aussi, emportée par la même fougue, [….] Wisna était une femme extrêmement dure et un très habile stratège. »
Saxo mentionne que Hetha et Wisna sont « gracieuses dans leur uniforme de bataille », que Webiorga battit le champion du camp adverse, et que les adversaires d’Harald ayant trop peur d’envoyer d’autres soldats contre elle, l’abattent avec une flèche.
Tous ces exemples montrent clairement que ces femmes combattantes ne manquaient pas de courage sur le champ de bataille, qu’elles étaient entrainées, et qu’elles savaient parfaitement se battre (victoire de Webiorga sur le champion du camp suédois). Elles étaient aussi respectées de leurs hommes.
Le seul problème est que Saxo a écrit sa Gesta Danorum, plusieurs siècles après les faits. Ce qui en fait pour certains une source peu fiable. Il nous faut alors regarder à d’autres sources pour confirmer ou non celle-ci.


Dans la saga des gens du Val-au-saumon (Laxdæla saga) rédigée au milieu du 13e siècle, Thordr divorce de sa femme Audr car celle-ci s’habille en homme (le port de braies à plein fond est explicitement mentionné), puis se remarie dans la foulée. Afin de lui faire payer cet affront, Audr chevauche de nuit en tenue d’homme jusque chez lui et le blesse grièvement avec un sax. Cette saga est là encore postérieure aux Vikings mais cela montre que même après la christianisation, on mentionne que dans le passé des femmes s’habillaient et se comportaient comme des hommes.

Les preuves archéologiques

Sur le plan archéologique, l’assertion la plus courante est que les armes se trouvent dans les tombes d’hommes et les outils de filage et de tissage dans celles des femmes, et que cela reflète donc bien la place de chaque sexe dans la société. Le seul hic est qu’en fait dans beaucoup de cas, pour économiser une étude ADN ou une étude ostéologique, les archéologues se basent sur ce qui se trouve dans la tombe pour déterminer le sexe de la personne enterrée !! On voit là un énorme biais scientifique, qui a permis à des tombes féminines de passer pour des tombes masculines, simplement sur base des armes présentes.
Car à Gerdrup (Danemark), par exemple, la tombe double du 9e siècle a montré une lance enterrée aux coté d’une femme. Dans l’Est de l’Angleterre de nouvelles analyses ostéologiques de tombes contenant des armes ont permis de prouver que plusieurs appartenaient à des femmes (dont une tombe contenant une épée et un bouclier) et non à des hommes comme le laissait penser le mobilier funéraire et les épées. Ces analyses ont aussi permis de prouver que près de la moitié des tombes scandinaves en Angleterre sont des tombes de femmes, ce qui tendrait à prouver qu’elles partaient comme les hommes en raids de pillage ou de colonisation. Et dans la Baltique, ou en Finlande, des tombes féminines plus tardives (11e-12e siècles) ont montré la présence d’armes (haches, lances, javelines, et même des épées dans deux cas).


En Norvège, un certain nombre (au moins une vingtaine) de tombes, dont la plupart sont du début du 9e siècle, contenant un mélange d’artefacts « féminins » et « masculins » ont été trouvées. Toutes ces tombres contenaient les fameuses broches ovales et des armes. Parfois une seule arme se trouvait dans la tombe, mais il n’est pas rare d’y trouver deux voire trois armes par tombe. L’arme la plus commune est la hache, mais des épées, ainsi que des lances y apparaissent souvent.
En Suède, en 1905, huit femmes ont été trouvée enterrées dans des tombes bateaux avec une épée à leur coté. Et à Kaupang, des haches et des pointes de flèches ont été trouvées dans des tombes féminines.
Ces exemples illustrent le manque de fiabilité de la détermination du sexe sur base archéologie, sans test ostéologique ou ADN. Et surtout le biais culturel que cette pratique induit sur les découvertes archéologiques. Les archéologues appliquant leurs croyances et cultures actuelles au passé. Si on regarde d’autres lieux et d’autres époques on peut s’apercevoir que la place de chaque sexe dans la société n’est pas aussi naturel et évident que nous le croyons.
Dans les Balkans par exemple, à une époque, les femmes qui n’avaient ni mari ni frères pouvaient endosser le rôle des hommes et se comporter comme eux. C’est-à-dire se vêtir comme eux et partir au combat comme eux. Et ces femmes étaient le plus souvent enterrées en tenue d’homme. Et en Islande, les Gragas (textes de loi anciens) semblent avoir contenu des clauses du même type concernant les femmes « sans hommes ». Cela peut amener à réfléchir sur ces fameuses tombes féminines ou doubles contenant des armes, et au rôle que les femmes tenaient dans la société.


Les preuves mythologiques

La trace de ces femmes combattantes se retrouve aussi dans certains personnages de la mythologie Nordique. Freyja est une déesse qui a un coté guerrier non négligeable, puisqu’elle se partage avec Odin, à hauteur de la moitié, les hommes morts au combat.
Les textes nous disent aussi que d’autres personnages mythiques féminins, les Walkyries, chevauchaient au dessus des champs de bataille, or si nous regardons l’amplitude des robes viking il y a un couac: impossible de chevaucher avec. Il faut donc que les Walkyries aient porté des pantalons, et donc aient été en tenue masculine. Cela ne vous rappelle rien ?
Une autre trace est la tapisserie d’Oseberg, on y voit des femmes représentées en robe, certaines tenant une lance, et l’une d’entre elles tient même une épée par la lame.
En conclusion, les femmes qui font de la reconstitution Viking et qui souhaitent combattre (que ce soit à l’épée, la lance, la hache, ou à l’arc) le peuvent, et peuvent aussi s’habiller en homme comme le faisaient ces femmes qui ont marqué l’histoire. C’est parfaitement historique.
Je ne dis pas que toutes les femmes Vikings étaient des femmes combattantes, mais certaines l’ont été, comme d’autres tout au long de l’histoire de l’Europe et d’ailleurs.


Bibliographie:

Merci a  Úlfdís pour son remarquable travail  de recherche.

 

0 commentaires:

Enregistrer un commentaire