Les Vikings. Histoire et civilisations
Notre « mythe du Nord » responsable des grossières erreurs
En
fait, qu'était-ce, un Viking ? Un commerçant depuis bien longtemps et
une première rectification consisterait à établir qu'il agissait en tant
que tel depuis au moins le VIe siècle, avec son bateau sans lequel il
n'existait pas, ses habitudes mercantiles, ses itinéraires précis, ses
« agents », ses marchandises de luxe : ambre, peaux et fourrures,
esclaves – car il fut un maître trafiquant d'esclaves, entre Hedeby au
Danemark, notamment, et Byzance. Ensuite, la conjoncture l'a amené à se
transformer en guerrier ou prédateur pour un certain temps, disons entre
environ 800 et 1050, mais il fut toujours un homme appliqué avant tout
à afla sér fjar : se procurer de l'argent.
Qu'autour de 800 le délabrement croissant de l'Empire carolingien ait
rendu vulnérables ses côtes, qu'en même temps, l'emprise arabe sur la
Méditerranée ait brusquement coupé un des grands axes d'échanges entre
Est et Ouest – la Méditerranée, donc – faisant par là même remonter la
barre à un axe Baltique-mer du Nord-Atlantique où les Scandinaves
étaient maîtres ; que les hommes du Nord se soient entendus à exploiter
cette situation qui fut pour eux une sorte d'aubaine, cela s'entend. Ils
ne furent pas lents à saisir que, souvent, un bon coup d'épée à
tranchant double ou de hache à large fer résolvait leurs problèmes mieux
que d'interminables palabres ; et donc, sans abdiquer leur véritable
nature de commerçants de luxe, ils se muèrent en pillards, sans jamais
affronter en rase campagne les armées ennemies – ils étaient bien trop
peu nombreux pour cela – en se portant sur les points à la fois
vulnérables et riches, donc tout ce qui touchait à l'Église en premier
lieu ; ils élaborèrent une technique de commandos ou de raids éclairs,
surgissant soudain, fondant sur leur cible, mettant le feu après avoir
raflé les objets de valeur, repartant avant que les populations locales
n'aient eu le temps matériel de réagir, bref, instaurant un climat de
terreur que leurs premières victimes, les clercs – les seuls aussi à
savoir écrire – ont dûment orchestré dans des textes délirants qui
mettront en place pour un bon millénaire notre « mythe viking ».
Un commerçant particulièrement doué pour cette activité
Le Viking – c'est-à-dire, sans doute, l'homme qui va de vicus, cette ville comptoir marchand, en vicus
– ou, lorsqu'il opère sur « la route de l'Est », donc entre fond du
golfe de Finlande et Byzance par les fleuves et lacs russes, le Varègue,
Væringr – l'homme qui s'occupe de marchandises, vara
– avait ses « routes » fixées par une longue tradition : à l'intérieur
de la Baltique, au nord par le cap Nord jusqu'à Arkhangelsk, à l'ouest
vers la Grande-Bretagne, puis l'Islande, le Groenland,
vraisemblablement, l'Amérique du Nord, ou bien par les côtes de
Hollande, de France, d'Espagne, le détroit de Gibraltar, l'Italie et la
Grèce jusqu'à Byzance, et à l'est, comme on l'a dit, routes qui
recoupaient les grandes pistes caravanières venues d'Extrême-Orient,
soit par la mer Noire, soit par la Caspienne. Tout au long de ces
« routes », il avait créé des comptoirs comme Dorestad (Hollande),
Quentovic (France) ou York (Angleterre).
Avec sa balance à peser l'argent haché ou hacksilfr, son
« portefeuille » à cases destinées à recevoir les diverses monnaies
ayant cours en Occident, ses poids et mesures, il était parfaitement
équipé pour négocier. L'archéologie, qui est la seule science capable de
nous renseigner solidement sur son compte – toutes nos autres
prétendues sources, littéraires donc, étant hautement sujettes à caution
– a retrouvé ces objets en nombre. Elle a également exhumé le véhicule
sans lequel il ne saurait y avoir eu de Viking, le bateau – à savoir le knörr, le skeid,
et leurs variantes, mais jamais le drakkar qui est un monstre français –
véritable merveille technique avec son dessin symétrique, proue et
poupe relevées, sa coque montée à clins vifs, sa quille d'un seul
tenant, son gouvernail, en fait une rame large à manche court fixée par
une attache de cuir souple à tribord arrière, son mât enfoncé dans une
curieuse poutre en forme de poisson, sa voile rectangulaire à longs lés
de couleurs, ses bancs de rame. Léger et très rapide, capable de virer
sur place, tolérant tous les tirants d'eau, du plus faible à celui de
l'océan, large et bas, mais non ponté, embarquant beaucoup d'eau, ne
remontant pas au vent, c'était, si l'on peut dire, un bateau
« élastique » : il ne résistait pas à la lame, il se pliait et
l'épousait. Son équipage d'une quarantaine d'hommes en moyenne, vivant
dans un grand inconfort – passant le plus clair de son temps à écoper –,
sa cargaison légère, faite avant tout de marchandises de luxe, le
rendaient incapable de transporter des marchandises lourdes en grandes
quantités ; sa facture, très évoluée, en faisait un objet fort coûteux
qui suffit à rendre dérisoires les exagérations des moines francs,
irlandais ou anglo-saxons qui nous décrivent des flottes immenses !
En tant que navigateur, le Viking est un homme qui pratique l'association, félag, de
biens ou de richesses. C'est peut-être d'ailleurs la marque la plus
claire de ces sociétés que leur sens communautaire extrêmement
développé.
Mais, il faut insister sur ce point, son but est essentiellement
lucratif. Faisons litière de prétendues vues idéologiques ou
religieuses, de complexes ethniques – au demeurant
parfaitement anachroniques ! Il veut gagner de l'argent, et cette
dernière formule suffit à résumer le phénomène dans son ensemble. De
quelque façon que ce soit : en colonisant des terres plus accueillantes
que les siennes propres, nous allons le dire ; en se faisant mercenaire,
activité dont, curieusement, nous ne parlons jamais; et donc, en
commerçant ou en pillant si cela est possible. Jamais en se présentant
en conquérant puisque nous n'avons aucun exemple de bataille rangée où
il ait été contraint de figurer et où il ait gagné !
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